Hommage à Rafael
Jean-Loup Seban
Hommage au Quint-centenaire de la mort de Rafaello Sanzio
Au palais Caprini, à Rome, le 6 avril 1520.
De arte pictoria raphaelis
Epître
De Raphaël d’Urbin, je chante le génie,
Ce céleste délire, ô Vénus-Uranie,
Un calame à la dextre, au Vatican des Arts
Où ses décors à fresque embrasent mes regards.
Tantôt la stuffeta d’un amateur d’antiques,
Et tantôt la loggia des amours emphatiques
De la blonde Psyché sous la garde des Dieux,
M’avise que son art est un présent des cieux.
Le poète et le peintre ont même destinée :
Ils ont bu, dès l’enfance, à la source emmannée
Que Pégase, au Parnasse, a d’un coup de sabot
Répandue à l’entour ; l’infertile marmot,
Démiurge assoupi près la rose et le romphe,
Sut du prince oriflant chamarrer le triomphe.
Furor poeticus, divine afflation,
Furor pictorius, didactique onction,
Cette noble fureur, au siècle d’Alexandre,
Trompeta son renom des rives de sa cendre
Au port d’Alexandrie, au gré de Momius.
Apelles, Pausias, Zeuxis, Parrhasius
Enjalousèrent Rome, éprise par les charmes
De la Grèce asservie aux Aigles de ses armes.
Il eût été perdu le corps nu de l’humain
S’il n’avait fasciné le belliqueux Romain.
De Raphaël d’Urbin, je chante le génie,
Ce céleste délire, ô Vénus-Uranie,
Un calame à la dextre, au Vatican des Arts
Où ses décors à fresque embrasent mes regards.
Tantôt la stuffeta d’un amateur d’antiques,
Et tantôt la loggia des amours emphatiques
De la blonde Psyché sous la garde des Dieux,
M’avise que son art est un présent des cieux.
De sa viole armé, dans la chambre papale,
Le Dieu prend à jamais la chaire principale.
La prédelle en grisaille, écrin d’antiquité,
Contrefaisait le marbre et sa roide beauté.
L’incendie au Borgo, La bataille d’Ostie
Montrent que sa palette était assujettie
Aux bas-reliefs lustreux qu’on retrouvait alors,
Et qui d’un sarcophage embellissaient le corps.
Car l’archéologie, alors à sa naissance,
Nourrissait son instinct d’une altière puissance.
On rapportait d’Hellas de fastueux dessins
Servant l’architecture, et des temples voisins,
Par un décret du pape, on faisait l’inventaire
Sur ordre de l’artiste, accorte et volontaire.
Oncques son art cessa d’adorner les autels
Qui dispensaient l’espoir aux fragiles mortels.
Van Aelst aura tissé bien des tapisseries
Sur les cartons du maître, auteur d’enchanteries.
En l’art de portraiture, aucun praticien
De Flandre ou de Venise, et même Titien,
Grand maître incontesté, ne fit œuvre meilleure ;
Tant d’une âme il cernait la qualité majeure.
Insurpassable artiste à la Masaccio,
Le plus monumental émule de Clio,
L’Urbinate exhaussa la solaire oriflamme.
La Vierge à tête nue éternisa sa flamme ;
Et sa gloire grandit, grâce aux amis graveurs,
Dans tous les ateliers jaloux de ses faveurs.
Le ciel fut son école et l’Eglise son maître !
Une ère fortunée, en ces cercles étroits,
Sous l’égide sacrée aux fulminants exploits,
Grâce à l’ami Bramante, assit sa renommée ;
Du vif éclat des tons, la Vesta fut charmée.
Devant Jules, Léon, princes et cardinaux,
Il faisait œuvre immense en moins de six journaux !
Lodovico Dolce, en son traité célèbre,
Nous parle élégamment de ce divin algèbre,
De ce je-ne-sais-quoi qui rend tout gracieux,
Agréable et charmant sous les minois des cieux.
Les stanze du Palais révèlent le grand maître
Des univers rivaux, qu’il aime et enchevêtre.
La raison et la foi, la gloire et la beauté,
Par de chauds coloris, pressent leur vérité
Du haut du Paraclet sur toute âme en prière.
Telle une abeille aux champs, son âme aventurière
Fréquemment butinait les fleurs des novateurs
D’Ombrie ou Vénétie, et les décorateurs
Des antiques villas recouvraient la parole
À la Farnesina, libérés de leur geôle.
Après longue indigence, en l’éclat ravivé
Rome se contemplait, Narcisse retrouvé.
Le miracle eut bien lieu ; c’était le vœu du pape !
Apollon renaissait des soins d’un Esculape,
Tant la grâce affinait la parlure des corps
Sur la fresque ou la toile aux coruscants accords.
Descendu de la nue, il vit soudain paraître,
Escorté par la Parque, un essaim d’angelots,
Et sentit sur la joue un torrent de sanglots.
Rhadamanthe accueillit son esprit dans les brumes
Et l’envoya cueillir les délices posthumes
Emmi les promeneurs des Champs élyséens,
Les orants de Mémoire, hellènes et romains.
Triste, se recordant cette image impollue
Du peintre qui dessine une scène absolue
Chez son ami Chigi, Baldassarre écrivit
Une élégie antique, hommage qui ravit,
Dans la langue d’Horace, austère et dépouillée,
Les cénacles lettrés de la Ville endeuillée.
Dans les serres d’une aigle une âme pittoresque,
A sa geôle arrachée, emprunte, dans la nuit
Du palais Caprini, le chemin qui conduit
Vers le ciel de Mercure, étincelante fresque.
L’ascension réclame un effort gigantesque
Pour atteindre la Cour qui divinement bruit.
De la gloire conquise, on escompte un beau fruit :
Un siège d’immortel au Paradis dantesque.
Las, plus n’est l’Urbinate ! Un mur à la grotesque
Dans une loggetta rappelle qu’il languit,
Près de Bibbiena, de la pourpre qui duit
A l’inspiré céleste au pinceau romanesque.
Des collines de Rome aux sablons de l’Atlas,
Sa palette épandit les vertus de Pallas,
Les fastes de la Bible et les fables d’Hellas.
Princes, vous n’aurez plus du besogneux compère
Ni Madone à l’Enfant, ni portrait du Saint-Père,
Ni Christ transfiguré dont la grâce prospère.
Maudit Vendredi Saint qui souffla son flambeau
Et d’un bris fissura les Loges du château !
Au Panthéon, la cendre a marbré son caveau.
Jean-Loup Seban
(1) Nouvelle forme fixe proposée par l’auteur composée de trois quatrains et trois tercets.
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