La poésie tend à élever celui ou celle qui la ressent vers un état de grande lucidité, de nature à lui permettre d’accroître ses perceptions. Parfois, au point de lui sembler amorcer un envol, comme si elle le (la) transfigurait. Pour certains, quand la poésie les a touchés, elle leur laisse ses marques bénéfiques indélébiles, voire change le cours de leur existence, les rendant meilleurs ou même les transformant en êtres agissants.
Le poète (homme ou femme), quant à lui, est passé à l’acte ! Il travaille à mettre en forme cette sorte d’exil volontaire, ce qui pourrait le placer en décalage par rapport à la société qui l’environne, mais qui en fait lui donne une fonction paradoxale de guide pour ceux qui n’ont pas la chance de voir, comme lui.
Pour recréer par les mots son état de visionnaire, le poète doit donc à la fois maintenir son état extra-lucide, au moins durant le temps de sa création, garder la maîtrise des mots pour pouvoir traduire la magie de sa perception, tout en se dédoublant pour devenir au fur et à mesure de l’écriture son propre lecteur, le plus candidement possible, afin de contrôler que les émotions ressenties par cet autre que lui-même rejoignent les siennes d’origine.
Ce processus complexe de la création poétique va donc au-delà de la conception selon laquelle tout le monde serait poète. Car en effet, si chacun a potentiellement au fond de lui-même les aptitudes à ressentir de la poésie dans les choses suivant les circonstances, les poètes seuls savent transmettre toute la puissance de cette poésie, en rendant les images actives par un jeu savant du langage, dont la maîtrise s’acquiert, à la manière dont on dit d’un bon artisan qu’il a acquis du métier.
L’art poétique nécessite donc une mise en œuvre des mots tout à fait particulière. C’est ainsi que peu à peu, suivant les cultures, des règles propres à cet art se sont mises en place, ont été élaborées, pour ajouter une musicalité particulière nécessaire aux phrases suivant la langue et la forme d’écriture, par un rythme adapté au sujet, par des jeux sonores, des répétitions singulières de sons ou des combinaisons parfois surprenantes, de telle sorte que l’esprit du lecteur soit immédiatement ou progressivement mis en condition pour recevoir une émotion restituée de façon symbolique et quasiment alchimique.
Or nier ou faire abstraction de ce savoir-faire des grands maîtres en poésie sous prétexte de casser les traditions et révolutionner la poésie, est « un peu court » ! L’être humain n’a pas modifié le fonctionnement de sa pensée en un jour, au point de ne plus voir la poésie là où ses ancêtres la trouvaient. Certes, le paysage urbain a changé, les modes de vie sont devenus tout autres que jadis. Mais les besoins essentiels de l’homme n’ont pas été modifiés. L’extase devant un ciel étoilé ne saurait, du jour au lendemain, se traduire par un langage au rabais.
A force de casser le rythme et l’harmonie musicale des mots choisis, de choquer le lecteur par un parler de qualité médiocre, il ne faut plus s’étonner de ce que celui-ci ne trouve plus grand intérêt à ouvrir un livre de poésie soi-disant contemporaine et à le voir prendre ses distances par rapport à des pseudo-poètes qui n’ont d’étonnant que de prétendre révolutionner la poésie en méprisant l’art de leurs pairs et sabotant leurs propres capacités à se faire entendre.
A cause de cette prétention à vouloir divulguer des écrits-fleuves de bas niveau en s’autoproclamant poète, nonobstant le fait que de vrais rares poètes brillent dans leur recherche stylistique en jouant excellemment avec les mots grâce à une inspiration authentique, c’est donc la Poésie tout entière qui perd ses chances d’être entendue à bon escient, car le public a désormais tendance à considérer que, globalement, la création poétique d’aujourd’hui ne lui apporte plus ce qu’il aurait désiré y trouver.
Revenons à plus d’humilité. Retrouvons notre savoir-faire ancestral. Si nous pouvons oser tenter d’innover, que ce soit par touches judicieuses et avec parcimonie ! Réapprenons à exercer nos sens de la façon la plus naturelle et la plus juste, sans les forcer et sans nous mentir.
Songeons enfin, avant tout, que l’art du verbe passe par une volonté de partage. Or, ce partage ne saurait faire fi du sens des mots, ni du respect de leur compréhension par une construction digne d’un cadeau de toute beauté !
Jean-Charles DORGE
(16 août 2015)
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