La Philosophie - Art et Poésie
La philosophie, c’est le doute. Le langage, c’est le doute surmonté, pour le meilleur et pour le pire. Et l’art ? On pourrait dire que l’art, c’est le doute insurmonté, donc la plus forte expression de l’homme pour se faire connaître, reconnaître, voir, c’est-à-dire aimer. Or, aimer, c’est vouloir l’autre. Le langage communique. La philosophie se tait. L’artiste (peintre, sculpteur, poète, prosateur….) lui, a pour mission de faire communier les deux, c’est-à-dire la parole et le silence. Et voilà le paradoxe qui fait sa force et sa fragilité. Y parvient-il ? Oui. Prenons l’exemple de la Joconde. La Joconde sourit-elle ? Non. La Joconde pleure-t-elle ? Non. Est-elle triste, gaie, belle, attirante, laide, intelligente, etc.Non. Cependant, elle est reconnue comme une des expressions artistiques la plus élaborée. Serait-ce possible de la comparer avec les dessins préhistoriques qui représentent des bisons, des guerriers, des arcs, et des flèches ? Oui, puisque l’expression est une nécessité à transmettre, qui exclut le jugement intellectuel, et fait ainsi communier la parole et le silence. L’art est neutre, la parole est engagée.
Je me permets de raconter un épisode de mon travail de peintre. Je vais visiter la cathédrale d’Amiens que je me propose de représenter en tableau. Or, dans la cathédrale vide de visiteurs à l’heure où j’y suis, des pigeons, entrés par un vitrail cassé, volent en travers de la voûte. Leurs ailes frappent le silence en faisant raisonner les pierres. Il me semble que c’est la plus belle communion du silence et de la parole que j’ai admiré dans cette cathédrale pourtant somptueuse.
Es-ce que l’artiste devant son travail, parle ? Avec lui-même ? Peut-être ? Avec le silence ? Surement. La profondeur de la création, c’est le silence accepté, supporté, enduré. La parole, c’est ne pas accepter cela, c’est vouloir se faire aimer tout de suite. Les orateurs fascinent plus vite que les artistes. Les guerriers plus vite que les sages. Les politiques plus vite que les penseurs.
Et pourtant l’art persiste dans le silence des ateliers. La poésie est une couleur. La peinture est une rime. La sculpture est un feu. L’art est une danse insaisissable et sans arrêt poursuivie.
Et la parole ? Est-elle nécessaire ? Certes puisque l’homme l’a « rendue » nécessaire, alors que l’art a toujours existé. L’art « est ». La parole « devient ». Devant une œuvre d’art, nous « sommes ». En écoutant parler, nous « devenons ». Or, le philosophe vous dira que « devenir » n’est pas forcément un progrès. Même, assez souvent, le contraire. Persister dans son « être », par contre, représente le processus créatif par excellence. Mais le plus difficile. Mais le plus impossible. Ainsi, douter est un processus créatif par excellence, mais surmonter le doute reste du domaine d’une philosophie en constante création.
Nous pourrions en déduire que la philosophe et l’art peuvent communier, mais que la parole, si belle soit-elle, serait néfaste au surgissement intimé né du « muet en soi ».
Bien sûr, je dois parler des symboles, qui, à eux seuls, expriment tout ce que les dieux et les hommes ont créé sur la terre, sur l’eau et dans le ciel. Oui. Mais, dans les symboles, les dieux et les hommes se parlent. De leurs paroles naît le symbole. Mais qui les a entendus ? Tous les êtres humains sans exception, car c’est par les symboles qu’ils ont exprimé et transmis les mystères de leur condition. Des mystères muets et éblouissants.
Enfin, je voudrais terminer sur un texte de Marion Delorme, écrit en préface aux « Feuilles d’automne » de Victor Hugo :
« Il est donc tout simple, quel que soit le tumulte de la place publique, que l’art persiste, que l’art s’entête, que l’art reste fidèle à lui-même. Car la poésie ne s’adresse pas seulement au sujet de telle monarchie, au sénateur de telle oligarchie, au citoyen de telle république, au natif de telle nation, elle s’adresse à l’homme tout entier. Le cœur humain est comme la terre : on peut semer, on peut planter, on peut bâtir ce qu’on veut à sa surface, mais il ne continuera pas moins à produire ses verdures, ses fleurs, ses fruits naturels. Mais jamais pioches ni sondes ne le troubleront à de certaines profondeurs ; mais de même qu’elle sera toujours la terre, il sera toujours le cœur humain : la base de l’art, comme celle de la nature ».
Hélène Morel
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