Nombre de nos contemporains semblent exclure la gymnastique cérébrale de réfléchir en profondeur sur le sens de l’existence, comme si la difficulté à apporter des réponses devait inéluctablement condamner l’individu à sa résignation définitive, de nature à justifier une certaine absurdité – pour ne pas dire « irresponsabilité » - des comportements. Pourtant celui qui parvient à concevoir une idée assez claire de sa destinée, pourra mieux orienter sa raison, donner libre cours à ses talents à développer, curieux de la découverte de nouveaux horizons et dans tous les cas résolu à ne rien avoir à regretter de ses choix et des moyens qu’il aura mis en œuvre pour les accomplir.
Si l’imagerie populaire montrait autrefois « l’idiot du village » comme un être plutôt joyeux ou du moins rieur, remarquera-t-on que les gens plus sombres en apparence sont à l’inverse perçus comme des êtres davantage affectés par une sorte de souffrance morale ou physique. Mais qu’en sait-on au final ? Nous voudrions seulement souligner à travers ces exemples de la pensée commune que, ne riant pas tous au même moment de choses identiques - ou au contraire n’en étant pas attristés -, le moteur de notre existence ne réside pas dans l’objet de nos distractions mais bien au cœur du sujet pensant.
Ce moteur qui nous anime, s’il nous est donné de disposer de nos matériaux génétiques et de bénéficier d’une programmation automatisée de l’évolution de nos cellules ou de leur organisation, nous avons le devoir de l’alimenter par un vécu qu’il nous appartient de diriger. Hormis les effets pervers des contraintes extérieures issues du monde dans lequel nous avons été projetés, dont nous pouvons au demeurant tirer profit pour grandir et acquérir des connaissances, notre esprit possède une certaine capacité de volonté mais surtout en principe une totale liberté de jugement. L’adulte, en devenir permanent, ne cesse alors d’exercer ce pouvoir sur lui-même en effectuant les choix les mieux adaptés pour lui permettre de vivre autant que possible en conformité avec ses aspirations.
L’objet de notre présente réflexion n’a pas la prétention de s’intéresser aux aspirations de chacun – domaine complexe empli d’incertitudes - mais de suggérer qu’en se dirigeant vers des causes justes, à savoir contribuant à sortir l’humanité de l’obscurantisme, comme le respect de l’autre, de la nature, le partage du savoir, l’entraide, l’amitié, l’art… l’individu trouve sans difficulté des sources de joie irrigant son esprit au point de lever les doutes existentiels freinant ses avancées.
Ainsi, toutes ces valeurs positives favoriseront une multitude de satisfactions intenses au quotidien, que certains appelleront « grâces », « dons du ciel » ou banalement « chance » alors que l’homme attentif y verra des signes de confirmation qu’il a cheminé de la meilleure façon.
Cette vision positive de nos interventions et de leurs conséquences directes ou indirectes sur le déroulement de notre vie et de celle des autres, participe au fonctionnement harmonieux de l’humanité à laquelle nous contribuons. Nos gestes et nos intentions peuvent aussi lui apporter une part de sa « beauté ». Or, ce concept global pourrait se résumer en un mot-clé ouvrant l’ensemble des portes d’un paradis enfoui : « Poésie » !
Par la forme autant que par le fond, en effet, vivre en poésie – ou devenir le poète de sa propre vie -, c’est créer l’état anticipateur d’un bonheur à l’approche, transcender même les pires moments que nous ayons à affronter en épreuves bénéfiques, faire tourner envers et contre tout ce moteur indéfectible qui réside en nous, pour accéder par le dépassement de soi-même à notre pleine puissance ! Commençons par mettre ce moteur en route, et qu’importe la direction, nous pouvons la prendre en totale confiance.

Jean-Charles Dorge
(Rueil-Malmaison, février 2014)