Franz Shubert
Chronique 8
Shubert, la belle meunière
Le nom de Schubert et la notion de souffrance m’ont toujours paru indissociables. Un disque trotte encore dans ma tête, celui que mes parents m’avaient offert autrefois et qui tournait fréquemment sur l’électrophone familial : « Schubert raconté aux enfants », avec cet échange surtout, éloquent sur l’incapacité du musicien à être dans le monde :
Schubert : « Mes rêves viennent se cogner contre les parois d'une montagne »
Caroline Esterhazy : « Et bien, franchissez la montagne, Monsieur Schubert ! »
Justement, rares seront les moments où il réussira à « franchir cette montagne » dans sa courte existence, pas plus en amour que dans d’autres domaines comme les postes qu’il convoitait ou le succès qu’il escomptait. Il y aura beaucoup d’espoir déçus, de désillusions, d’amertume, la maladie bien sûr et finalement la mort au bout d’un très court chemin de vie. Si le tableau est sombre, il n’en est pas pour autant complètement noir. Schubert saura trouver dans la nature, dans ses promenades en forêt et dans ses ancrages amicaux (les fameuses Schubertiades !) de réels antidotes aux vicissitudes de son existence.
Et puis ce démon intérieur, tyrannique, qui le pousse à écrire, à créer jusqu’à ses derniers moments, à se raconter, à nous raconter…
"J'ai parfois l'impression que ma place n'est pas en ce monde", se demandait Schubert. Inadapté au monde ? A voir... Pourquoi après tout ne fut-ce pas le monde incapable de s’adapter à lui ?!
Avant d’examiner « La belle meunière », il convient peut-être de mettre le lied schubertien en perspective, de proposer un éclairage sur l’apport du compositeur dans ce domaine par rapport à ses prédécesseurs, Mozart, Beethoven, où même son contemporain Carl Loewe.
Mozart : environ 34 lieder. Beethoven : environ 25. Loewe : plus de 400. Schubert : plus de 600 ! Dans les deux derniers cas, ce constat comptable donne le vertige ! Mais ça n’est bien entendu pas à travers une stérile bataille de chiffres que se situent les dissemblances.
Bien avant Schubert, bien avant Mozart, le lied existait déjà. On le trouve même à l’origine dans les chants savants et raffinés (Kunstlied) des troubadours germaniques (Minnesänger). Ces troubadours s’affrontaient en des joutes musicales régies par des règles strictes, comme en témoigne avec génie Richard Wagner dans deux de ses opéras : « Tannhaüser » et « Les Maîtres chanteurs de Nüremberg » Parallèlement se développaient dans les pays germaniques des chants de caractère plus populaires (Volkslied). Le XVIIIe siècle verra l’éclosion de l’ode de salon (piano-chant) illustrée par Mozart et Beethoven et d’autres compositeurs de moindre importance. Nous sommes à l’aube du romantisme, mais malgré leur génie respectif, point de traces encore chez ces musiciens de ce qui fera l’essence même du lied schubertien : l’engagement poétique du créateur, son implication profonde. Chez Loewe néanmoins, on sent déjà frissonner timidement cet engagement. Les accompagnements de piano ont parfois une originalité, une imagination, non dénués de charme et d’intérêt.
La « chance » de Schubert (si ce mot peut avoir encore un sens dans une vie marquée par le malheur) est d’être né au bon moment. Ce « bon moment » quel est-il ? Précisément l’époque d’un formidable foisonnement littéraire et poétique dans les pays germaniques : le mouvement « Sturm und Drang » (Friedrich Klinger, Goethe, Schiller), puis des auteurs comme Wilhelm Müller, Novalis, Klopstock, von Herder, von Collin, les frères Grimm, les frères Schlegel, Friedrich Rückert, Clemens Brentano, Johann Tieck…et tant d‘autres, qui participèrent au renouveau de la littérature allemande en collectant de nombreux textes et légendes populaires. Jamais autant d’œuvres poétiques virent le jour en si peu d’années.
Schubert n’eut qu’à se pencher, récolter…et créer… Il ne s’en priva pas ! Plus de 600 textes mis en musique !
Sommes-nous capables, les amateurs de poésie et de musique que nous sommes, de mesurer l’immense chance que nous avons qu’en une période donnée il y ait eu cet heureux « alignement planétaire » ayant permis l’éclosion simultanée de tant de chefs-d’œuvre musicaux et littéraires ?
Pour toutes ses mélodies, le mot chef-d’œuvre n’est pas usurpé chez Schubert, car la quantité n’a d’égal que la qualité et c’est vraiment avec lui que le lied germanique trouve son apogée en ceci qu’il réussit en une alchimie parfaite à obtenir une fusion totale entre la poésie et la musique, recherchant sans cesse dans le sens et la sonorité des mots comment parvenir à les sublimer par les notes. Ses lieder ne sont plus une ligne vocale avec accompagnement mais bien deux voix complémentaires, deux acteurs, deux narrations intrinsèquement liées pour atteindre un niveau d’expression lyrique jamais encore égalé. « La belle meunière » en est un exemple parfait.
Trois facettes du personnage sont représentées : l’amoureux, le soldat et le buveur. Pour illustrer chacune d’elles, le compositeur fait appel à trois rythmes caractéristiques ibériques :
1/ Chanson romanesque : la guajira, plus précisément un rythme venu de Cuba, alternant mesure à 6/8 et à 3/4. Leonard Bernstein l’utilisera dans « America », l’un des moments forts du film « West Side Story ».
Le texte est cocasse. « Si vous me disiez que la Terre à tant tourner vous offensa, je lui dépêcherais Pança : vous la verriez fixe et se taire […] » On retrouve bien ici la folie du personnage. La ligne vocale chemine, affirmée mais sans hâte, sur l’accompagnement envoûtant de la guajira, créant l’effet désiré : Don Quichotte croit à ses chimères et nul obstacle ne pourrait l’entraver pour plaire à sa belle…Et combien émouvant ce soupir final du chevalier amoureux sur les mots « O Dulcinée »
2/ Chanson épique : le zortzico basque. On trouve cette danse à cinq temps dans les oeuvres de nombreux musiciens du XIXe siècle, tels Alkan, Saint-Saëns, Pierné, Turina, Albéniz, Pablo de Sarasate. Ravel y fait appel ici, mais dans sa version lente et grave pour soutenir l’humble prière à St Michel culminant avec force et noblesse dans sa partie médiane sur les mots « D’un rayon du ciel bénissez ma lame et son égale en pureté et son égale en piété comme en pudeur et chasteté : ma Dame »
3/ Chanson à boire : la jota aragonaise.
Le chevalier à la triste figure ivre ?! Ceci est bien singulier en vérité et contraste avec sa noblesse d’âme précédente. Qu’à cela ne tienne ! Ravel, nous entraîne dans une jota à trois temps bondissante dans la plus pure tradition des chansons à boire.
« Je bois à la joie ! La joie est le seul but où je vais droit lorsque j’ai bu. […] » Va-t-il vraiment droit notre chevalier ?! La musique en tout cas, par ses effets d’allongements, ses contre-temps, ses arrêts brusques, ne semble pas vraiment lui donner raison ! Mais Don Quichotte reste Don Quichotte : il se nourrit d’illusions…amplifiées, nul n’en doute, par les « vertus » du vin…
Sincérité désarmante, noblesse d’âme, courage, humour…Ravel, dans ces courtes pièces, avec une grande économie de moyen, parvient à mettre en valeur quelques aspects essentiels de ce personnage élevé au rang de mythe depuis sa naissance un beau jour de 1605...
Das Wandern
Wohin ?
Halt !
Danksagung an den Bach
Am Feierabend
Der Neugierige
Ungeduld
Morgengruß
Des Müllers Blumen
Tränenregen
Mein !
Pause
Mit dem grünen Lautenbande
Der jäger
Eifersucht und Stolz
Die liebe Farbe
Die böse Farbe
Trockne Blumen
Der Müller und der Bach
Des Baches Wiegenlied
Le voyage
Vers où ?
Halte !
Remerciement au ruisseau
Le soir au coin du feu
Le curieux
Impatience
Salut matinal
Les fleurs du meunier
Pluie de larmes
Mienne !
Pause
Le ruban vert
Le chasseur
Jalousie et fierté
La couleur aimée
La couleur détestée
Fleurs séchées
Le meunier et le ruisseau
La berceuse du ruisseau
La belle meunière, opus 25 D795
A dix-sept ans (1814), le musicien va rencontrer Thérèse Grob, son seul véritable amour. Ensemble, ils font des projets. Mais son incapacité à assurer une vie décente à sa bien aimée aura bientôt raison de leurs rêves, et la mère de la jeune fille veille au grain… Thérèse trouvera bientôt dans les bras d’un artisan pâtissier la sécurité matérielle…et restera pour le jeune homme une plaie ouverte…qu’il saura maquiller par la résignation…
« La belle meunière » (« Die schöne Müllerin ») est un cycle de lieder, composée en 1823 sur des poèmes de Wilhelm Müller. L’auteur, dans un écrit antérieur datant de 1815, sentait combien sa poésie méritait une transposition musicale. Il fut comblé !
Comme nous l’avons vu précédemment avec « Poème d’avril » de Jules Massenet, un cycle est donc un ensemble de mélodies régi par un dénominateur commun, un fil conducteur. Qu’elle en est le fil conducteur justement ? Un ruisseau, omniprésent tout au long du cycle. Il représente à la fois le voyage du narrateur, son ami et confident, ses larmes et sa mort : il sera son linceul.
Ce que nous raconte « La belle meunière » semble comme un écho à l’infortune amoureuse de Schubert et à son désir de quête de paix intérieure à travers la nature.
Un jeune homme voyage le long d’un ruisseau et parvient chez un meunier. Il tombe amoureux de sa fille, mais rapidement celle-ci le délaisse au profit d’un chasseur. Le jeune homme en mourra de chagrin.
Tous les thèmes chers aux romantiques sont réunis ici : la quête, l’amour, la nature, le voyage, le rejet, la déception, le désespoir, le suicide…Comment ne pas penser au roman épistolaire « Les souffrances du jeune Werther » de Goethe paru quelque trente ans auparavant, véritable précurseur du mouvement romantique ?
Voici les titres des 20 lieder qui constituent l’œuvre. Ils sont tous de forme strophique. D’emblée nous pouvons la diviser en deux grandes parties : en bleu, les lieder représentant l’optimisme, l’enthousiasme où se groupent les thèmes du voyage, de la quête, de la joie, de l’espérance, de l’amour. A partir du lied « Le chasseur » (parties en gris), le ton s’assombrit brutalement : déception, jalousie, tristesse, chagrin, résignation, mort, viennent progressivement accaparer et submerger l’apesanteur initiale.
Dès les premières mesures de l’œuvre, Schubert entraîne l’auditeur dans l’enthousiasme communicatif du départ. « Le voyage » (Das Wandern) : « Partir, quel plaisir pour un vrai meunier, oui, partir ! » L’exaltation du jeune homme en partance est soulignée avec force par un mouvement rythmique régulier et dansant au piano, symbolisant la roue d’un moulin qui jamais ne cesse de tourner et appelle le voyageur à ne point arrêter sa course. Puis c’est la découverte du ruisseau : « Vers ou ? » (Wohin ?), de l’ami, qui ne quittera plus le narrateur : « J’entendis un ruisseau couler, la source jaillie du rocher qui cascadait vers la vallée, limpide et gaie » Le bruissement des eaux est merveilleusement rendu par une formule lumineuse et ondoyante au piano. Puis c’est l’arrivée au moulin : « Halte ! » (Halt !) : « Je vois là-bas, entre les aulnes, un moulin tout blanc » A l’écoute de ces premiers lieder, les images affluent à notre pensée. Tout est mouvement : le voyageur dans sa marche le long du cours d’eau, l’onde, la roue du moulin. Décor idyllique ! Puis, dans le cinquième lied « A la veillée » (Am Feierabend), première allusion à la belle meunière… « Mille bras ne me suffiraient pas ! A grand fracas les roues je veux pousser, tempêter à travers les bosquets ! Et tourner les meules de rocher - Et la belle meunière verrait combien je l’aime…» Là aussi, le mouvement rotatif et régulier du piano simulant le travail de la roue et du meunier laisse venir à nous des images, avec, à l'arrière-plan, derrière un rideau liquide jaillissant de la meule, une jeune et jolie apparition …
Avec « Le curieux » (Der Neugierige), le ton va changer quelque peu, le doute s’installer… « Je n’interroge pas les fleurs, et pas les étoiles non plus, car aucune ne peut me dire ce que je voudrais tant savoir… » Le ruisseau, son confident, est sollicité dans une ample et poignante mélodie : « Ruisseau de mon cœur, pourquoi donc restes-tu muet ? Je ne demande pourtant rien que l’un ou l’autre des deux mots. L’un de ces petits mots, c’est : oui et l’autre petit mot, c’est : non » Schubert joue adroitement sur l’opposition : le « oui » est chanté avec force, le « non » esquissé, plaintif.
Le lied suivant, « impatience » (Ungeduld), trouverait facilement sa place dans un opéra par son lyrisme débordant. Le narrateur prend la nature à témoin de sa passion naissante pour la meunière et de son désir de lui déclarer sa flamme : « Mon cœur est à toi, éternellement », s’écrie-t-il à la fin de chaque strophe. Piano et voix sont en symbiose totale au point que l’on se demande lequel des deux est le plus dévoré par la passion !
« Salut du matin » (Morgengruss) Toutefois la meunière semble se faire désirer ! Comment pourrait-elle résister à une si délicieuse et fraîche aubade ?! « Bonjour, bonjour, jolie meunière ! Où caches-tu ton frais minois, comme effarouchée ? » Chaque strophe trouve le même traitement musical : tout d’abord de doux accords plaqués sur la voix, faisant place à un suave balancement de triolets.
« Les fleurs du meunier » (Des Müllers Blumen) Dans le même esprit galant que le lied précédent, le narrateur compare les yeux bleus de la meunière à des fleurs.
Puis vient le lied « Pluie de larmes » (Tränenregen), où s’exprime la douce intimité des jeunes gens enfin réunis : « Nous étions tout près l’un de l’autre sous la fraîche aulnaie, à regarder, l’un comme l’autre, le ruisseau couler »Toutefois, cette atmosphère idyllique ne parvient pas malgré tout à apporter l’apaisement. Ambiguïté des mots : « Et le ciel tout entier sombra dans le frais ruisseau, il voulait m’entraîner aussi tout au fond de l’eau », cette phrase sonnant comme un sinistre présage…Cette impression de malaise est renforcée par un accompagnement volontiers instable, ambigu lui aussi.
« Mienne ! » (Mein !) : Dans une atmosphère de pudique euphorie, le jeune homme chante à la nature sa joie : « Tais-toi, ô mon ruisseau ! Arrêtez-vous, les roues ! Que les oiseaux des bois, petits et grands, cessent leurs chants ! Que dans les arbres, de ça, de là, coure un seul cri : ma mie est à moi, mienne ! »
Les deux lieder suivants, « Pause » (Pause) et « Le ruban vert » (Mit dem Lautenbande), nous font pénétrer dans l’intimité des deux amants. A noter l’accompagnement archaïsant de « Pause », symbolisant le luth : « J’ai accroché mon luth au mur, entouré d’une faveur verte. Je ne puis plus chanter car mon cœur est trop plein » Dans « Le ruban vert », le narrateur chante la couleur et sa vertu symbolisant l’espérance, la jeunesse : « Mais tu peux bien aimer le vert, moi je l’aime aussi car notre amour est toujours vert, verte est notre grande espérance… » Rien ne semble pouvoir venir troubler l’atmosphère sereine de ces deux lieder. Et pourtant…
« Le chasseur » (Der Jäger) : le soudain martèlement des croches dans le grave au piano sonne comme un coup de tonnerre. « Que cherche le chasseur auprès de mon ruisseau ?» s’étonne le narrateur. Surprise, agitation : chant et piano expriment parfaitement la tension légitime provoquée par l’apparition du chasseur.
« Jalousie et fierté » (Eifersucht und Stolz) : les croches du lied précédent font bientôt place à des doubles croches en triolet. C’est l’affolement, la colère : « Où t’en vas-tu si vite, ô ruisseau bouillonnant ? Veux-tu poursuivre le chasseur de ta colère ? Retourne d’où tu viens, et gronde la meunière, la perfide, infidèle et volage meunière ! »
« Mienne ! » (Mein !) : Dans une atmosphère de pudique euphorie, le jeune homme chante à la nature sa joie : « Tais-toi, ô mon ruisseau ! Arrêtez-vous, les roues ! Que les oiseaux des bois, petits et grands, cessent leurs chants ! Que dans les arbres, de ça, de là, coure un seul cri : ma mie est à moi, mienne ! »
Les deux lieder suivants, « Pause » (Pause) et « Le ruban vert » (Mit dem Lautenbande), nous font pénétrer dans l’intimité des deux amants. A noter l’accompagnement archaïsant de « Pause », symbolisant le luth : « J’ai accroché mon luth au mur, entouré d’une faveur verte. Je ne puis plus chanter car mon cœur est trop plein » Dans « Le ruban vert », le narrateur chante la couleur et sa vertu symbolisant l’espérance, la jeunesse : « Mais tu peux bien aimer le vert, moi je l’aime aussi car notre amour est toujours vert, verte est notre grande espérance… » Rien ne semble pouvoir venir troubler l’atmosphère sereine de ces deux lieder. Et pourtant…
« Le chasseur » (Der Jäger) : le soudain martèlement des croches dans le grave au piano sonne comme un coup de tonnerre. « Que cherche le chasseur auprès de mon ruisseau ?» s’étonne le narrateur. Surprise, agitation : chant et piano expriment parfaitement la tension légitime provoquée par l’apparition du chasseur.
« Jalousie et fierté » (Eifersucht und Stolz) : les croches du lied précédent font bientôt place à des doubles croches en triolet. C’est l’affolement, la colère : « Où t’en vas-tu si vite, ô ruisseau bouillonnant ? Veux-tu poursuivre le chasseur de ta colère ? Retourne d’où tu viens, et gronde la meunière, la perfide, infidèle et volage meunière ! »
« La couleur aimée » (Die liebe Farbe) : c’est la tristesse, l’amertume qui domine ici, faisant un écho douloureux au lied « Le ruban vert » : « Je veux m’habiller de vert, vert comme un saule pleureur, ma mie aime tant le vert »…puis « Ma mie aime tant la chasse, mon gibier a nom la mort » Le lied prend des couleurs plaintives, Schubert jouant ici sur l’ambiguïté des tonalités, si fréquente dans la production du compositeur.
« La couleur haïe » : des accords plaqués dans les graves sur un tapis de triolets en double croches : la décision du jeune homme est prise. Il part. Le vert, symbole de ses amours avec la meunière, couleur bénie de l’espérance, se trouve bientôt affublée d’un autre qualificatif : haï. « Le ruban vert, le vert ruban, enlève-le de tes cheveux. Je pars, je pars ! Ô ma mie, tends-moi la main pour me dire adieu. »
« Fleurs séchées » (Trockne Blumen) : le désespoir prédomine ici, mais un désespoir pudique, sans éclat, sans effusion. Une mélodie simple s’écoule sur de simples accords au piano. « Petites fleurs que je tiens d’elle, on vous mettra dessous ma dalle » Les deux dernières strophes apportent pourtant une lueur : « Et si passant tout près de moi, elle se dit : il m’aimait tant ! »
« Le meunier et le ruisseau » (Der Müller und der Bach) : c’est l’un des plus beaux lieder du cycle, l’un des plus poignants, ce magnifique dialogue entre le jeune homme et son ami le ruisseau. Là encore, Schubert joue sur les ambiguïtés tonales, sur les contrastes majeur/mineur. « Ruisseau, cher ruisseau, tu veux m’apaiser…Que sais-tu, ruisseau, de mon mal d’aimer ? »
« La berceuse du ruisseau » (Des Baches Wiegenlied) : « Endors-toi, endors-toi, ferme tes deux yeux, ô voyageur si las, tu es rentré chez toi. Ici on est fidèle, et tu reposeras jusqu’au jour où la mer aura bu les ruisseaux » Si significatif de la personnalité musicale de Schubert, tout en pudeur, jamais excessive, la mort s’exprime dans une douce berceuse sous le regard empathique, chaleureux du ruisseau, le seul véritable et fidèle ami jusqu’au bout du chemin…
En 1827, un an juste avant sa mort, Schubert fera appel à nouveau aux textes poétiques de Wilhelm Müller. Cela donnera « Le Voyage d’hiver » (Winterreise), cycle en forme d’adieu à la vie.
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