Georges Brassens
Liberté, ma mie...
Notre chroniqueur musical Patrick Goetz, féru de musique dite classique sait aussi reconnaitre ce qui fait l’attrait de la Chanson française, dans tous ses aspects d’originalité et de poésie.
C’est ainsi qu’il nous est apparu intéressant de lui demander de nous divulguer son approche de mélomane en la matière, et qu’il a spontanément conçu, pour le plaisir de tous, cette première chronique consacrée à Georges Brassens, sous un angle et avec un choix particuliers de chansons.
Gageons que cette lecture et l’écoute de l’extrait vont replonger nombre de nos visiteurs dans l’univers d’une époque où ce chanteur-poète ne cessait d’imprégner ses mélodies dans nos têtes… .
Le 31 octobre 1981, le journal Libération titre « Brassens casse sa pipe »
Cohérence parfaite. Quel autre titre plus conventionnel aurait pu convenir à ce poète hors norme ? Oui, Brassens est bien mort, c’était deux jours avant, tout près de Sète, sa patrie.
M-O-R-T…Il l’aura souvent nargué, la « camarde » ! A force, il s’en était probablement fait une sorte de compagne « de vie » Curieux paradoxe ! La mort dans la vie ! Il lui donnait souvent rendez-vous dans ses textes, parfois en la bravant avec ironie, parfois avec la gravité et le respect dus à son rang ! Et le 29 octobre, elle est fidèle à l’ultime rendez-vous. Elle ne pose jamais de lapin !
Cette date est finalement très symbolique car elle fait entrer « l’anar » dans la légende, mais avec quelque chose de presque dommageable : c’est qu’au fil des années, du temps, cet artiste anticonformiste, sulfureux, libertaire, ce dérangeant contestataire, dont les premiers disques furent interdits d’antenne et boycottés même par certains disquaires, va progressivement glisser, et c’est là un deuxième paradoxe, vers une sorte de modèle du classicisme en chanson, dont les textes sont aujourd’hui étudiés religieusement comme l’on étudie une pièce de Corneille ou un poème de Verlaine. Brassens-musée ! Voilà bien une association de mot qu’il aurait abhorré !
Ce qui frappe chez le chanteur-poète, c’est que dès les premières années de production, il adopte un style de chanson poétique quasi-définitif : des textes denses, un langage ou les mots crus font un curieux (bon) ménage avec d’autres beaucoup plus recherchés, puisés dans le vocabulaire ancien, courtois, des thèmes récurrents (l’amitié, les femmes, l’amour, la mort, les institutions, généralement malmenées !) La mélodie est volontairement simple, facilement mémorisable et les accompagnements très épurés (une guitare et une contrebasse) Quel contraste avec les épais arrangements symphoniques noyant les beaux textes de Léo Ferré et Jean Ferrat !
Au moment de choisir une chanson pour cette chronique,….dilemme ! Laquelle garder parmi ce foisonnement de pépites ? !
Il y a bien sûr les hyper connues comme « L’Auvergnat », « Les bancs publics », « Les copains d’abord », passés dans l’inconscient collectif ; mais aussi les sulfureuses, les idéologiques, les humanistes, les fleurs bleues, puis celles qui tirent à bout portant sur l’embrigadement sous toutes ses formes …Probable que certains titres viennent spontanément à l’esprit du lecteur…Bref, les thèmes ne manquent pas ! Pendant quelques jours, les disques tournent sur la platine…l’indécision prime…
Puis, un samedi matin, morne, pluvieux, un temps vraiment fait pour Brassens (« Parlez-moi de la pluie et non pas du beau temps, le beau temps me dégoûte et me fait grincer des dents… »), le déclic…le salut…le « Bon sang, mais c’est…bien sûr ! » du commissaire Bourrel ! Un cortège de voitures rentrant d’un mariage passe dans la rue, tous klaxons claironnants, agressifs, irrespectueux des pauvres oreilles des braves passants et des riverains.
Mariage…noce…hyménée…Peu à peu remontent en s’entrecroisant des bribes de textes du poète : « Mariage d'amour, mariage d'argent, j'ai vu se marier toutes sortes de gens »…« Je n’oublierai jamais la mariée en pleurs, berçant comme une poupée son gros bouquet de fleurs »… « Quand la fiancée, les yeux baissés, des larmes pleins les cils s’apprêtait à dire oui da à l’officier civil »…« Qu’on se pende ici, qu’on se pende ailleurs… »…
Alors que les klaxons tapageurs s’éloignent dans la rue et que le silence reprend peu à peu sa place, un texte finit par s’imposer à mon esprit et balayer tous les autres d’un revers de rimes : « La non-demande en mariage »… A ces trompettes, non de la « renommée », mais bien de l’hyménée…souvent annonciatrices de lendemains désenchanteurs…Brassens nous présente une autre vision de l’amour, un hymne à l’amour, son hymne à l’amour. Au fond, comme me le suggérait récemment un ami, l’une des plus belles déclarations d’amour qui puisse être. Pure, exigeante, respectueuse, égalitaire. Elle ne pouvait convenir qu’à un seul être : celle qui sut recevoir cette déclaration et partager jusqu’à ce 29 octobre 1981 les mêmes aspirations de bonheur régies par un seul maître-mot : la liberté : Puppchen…
Nous ne proposerons pas d’étude de texte. Point de dissection de laboratoire. La poésie s’impose d’elle-même. Qu’il nous soit juste permis d’illustrer le poème d’une photo volontairement scindée, encadrant le texte.
La non demande en mariage
Ma mie, de grâce, ne mettons
Pas sous la gorge à Cupidon
Sa propre flèche
Tant d'amoureux l'ont essayé
Qui, de leur bonheur, ont payé
Ce sacrilège...
J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin
Laissons le champs libre à l'oiseau
Nous serons tous les deux prisonniers sur parole
Au diable les maîtresses queux
Qui attachent les cœurs aux queues
Des casseroles!
J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin
Vénus se fait vielle souvent
Elle perd son latin devant
La lèchefrite
A aucun prix, moi je ne veux
Effeuiller dans le pot-au-feu
La marguerite
J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin
On leur ôte bien des attraits
En dévoilant trop les secrets
De Mélusine
L'encre des billets doux pâlit
Vite entre les feuillets des livres de cuisine.
J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin
Il peut sembler de tout repos
De mettre à l'ombre, au fond d'un pot
De confiture
La jolie pomme défendue
Mais elle est cuite, elle a perdu
Son goût "nature"
J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin
De servante n'ai pas besoin
Et du ménage et de ses soins
Je te dispense
Qu'en éternelle fiancée
A la dame de mes pensées
Toujours je pense
J'ai l'honneur de ne pas te demander ta main
Ne gravons pas nos noms au bas d'un parchemin
Sacré Brassens ! . . .
Au dos du premier 25 cm sorti en 1953, le journaliste et romancier Jean-Jacques Gautier écrivait : « Georges Brassens est plus qu’un chanteur, c’est un poète authentique : il n’y a qu’à le voir et l’écouter pour s’en convaincre […] Il existe dans ce bougre de bonhomme, du primitif, de l’anarchiste, de la grosse bête un peu sauvage…et puis du rêve, de la berceuse, une merveilleuse petite fleur bleue dont la vivacité nous étonne et le parfum nous ravit »
Avant de fermer la page, rendons ici hommage à Patachou, « La Tigresse » (surnom donné par Brassens), à celle qui sut croire en lui dès les premiers instants et permettre à l’obscur poète de crier son amour de la liberté en pleine lumière
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