Jean Koehler
Pour mieux se connaitre...
Le fruit défendu
J’ai choisi de vous parler du mythe biblique du jardin d’Eden, inspiré d’un récit fait à mes petits enfants.
La meilleure façon d’inciter les enfants à lire, c’est de commencer par leur raconter des histoires, des contes en particulier.
Parmi les histoires, il y a celles tirées de la bible qui sont fort intéressantes, lorsqu’elles sont présentées sous forme de contes philosophiques.
Il existe des versions de la bible pour les enfants qui racontent d’une façon plaisante les principaux évènements de l’ancien et du nouveau testament.
La connaissance de la bible, comme l’histoire des religions, fait partie d’un héritage culturel que tous les enfants devraient connaitre.
En séparant bien la connaissance de la croyance, on leur permet d’accéder à une dimension philosophique qui les aidera à mieux comprendre les grands phénomènes de sociétés.
Devant la crise actuelle du capitalisme et le réveil de tous les intégrismes qui jettent les hommes les uns contre les autres, il me parait important de transmettre la connaissance des différentes religions dans le respect de leur diversité, ce qui est un premier pas vers l’apprentissage de la tolérance que les jeunes doivent absolument pouvoir s’approprier.
La bible est un des livres du « verbe » c'est-à-dire de la parole qui permet à l’homme de dépasser sa filiation en tant que Sapiens-Sapiens pour gravir les marches qui le conduit vers l’humanisme.
L’étude du Livre, voir des trois livres qui le composent, le judaïque, le chrétien, le musulman en dehors de la croyance qui doit rester dans le domaine strictement personnel, est importante car elle est riche en symboles et en histoire et si elle occupe une place si fondamentale dans le cœur de beaucoup d’hommes et de femmes qui l’ont magnifié dans de si beaux monuments, peintures, musiques, poésies, en un mot dans tous les Arts, cela ne peut être anodin.
Les humains ont autant besoin de nourriture spirituelle que matérielle et si les institutions religieuses ont souvent dévoyé et manipulé le spirituel au profit du matériel en leur faveur, il ne faut pas pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain.
Revenons à notre « jardin » !
Après que le serpent a convaincu la femme qu’ils pouvaient manger du fruit défendu, que non seulement ils ne mourraient pas mais seraient à même d’accéder à la connaissance du bien et du mal, le passage à l’acte s’accomplit.
On connait la suite, Dieu chasse Adam et Eve du jardin d’Eden.
Le texte biblique dit : Genèse 3 – 22 / 24 :
« Voici que l’homme est comme l’un de nous pour connaitre le bien et le mal.
« Maintenant qu’il ne lance pas sa main, ne prenne aussi de l’arbre de vie, ne mange et vive en pérennité.
« Dieu le renvoit du jardin d’Eden pour qu’il retourne à la terre dont il avait été tiré.
« Il expulse l’homme et fait demeurer au devant du jardin d’Eden les chérubins et la flamme de l’épée flamboyante pour garder la route de l’arbre de la vie.
Ce texte très célèbre a déjà fait couler beaucoup d’encre mais est loin d’avoir épuisé son contenu symbolique !
Dans ma jeunesse, j’ai reçu une instruction religieuse qui m’a amené à étudier les textes de la bible dans le cadre de la religion protestante.
En dehors de la croyance, l’étude des textes bibliques sous un angle philosophique m’a toujours fortement intéressé.
Ainsi, dans ce texte du jardin d’Eden et du fruit défendu, Dieu se comporte comme un père pour le moins étrange.
Tous les parents savent pertinemment que laisser seul des enfants dans un endroit et leur interdire de « manger la confiture » qu’il y a sur la table est totalement vain, la curiosité et la gourmandise l’emportant toujours.
Donc soit Dieu ne connait rien aux désirs qui habite tout enfant et à la transgression d’un interdit, pulsion que l’enfant ne peut encore maîtriser, et c’est un bien piètre créateur, soit la vraie raison de l’expulsion du jardin d’Eden se situe sur un tout autre plan.
Car après avoir mangé du fruit de la connaissance, Adam et Eve découvrent qu’ils sont nus.
Ils cousent des feuilles de figuier et se font des ceintures.
Lorsque Dieu les appelle à la fin de la journée, Adam et Eve se cachent et ont honte de leur nudité.
Le texte biblique dit : Genèse 3 – 9 / 10
« Dieu appelle l’homme et lui dit : Où es-tu ?
« Adam répond : j’ai entendu ta voix dans le jardin et j’ai frémi ;
« Oui, moi-même je suis nu et je me suis caché.
Chacun est libre d’interpréter ce texte de différentes façons.
En ce qui me concerne, j’ai la conviction que le malheur de l’homme énoncé dans ce texte, vient du fait qu’il n’arrive pas à assumer correctement ses désirs, ses décisions, ses comportements et à les gérer de façon responsable. Et ce qui provoque sa chute c’est sa fuite devant des pulsions plus fortes que la raison, et qu’il n’arrive pas à maîtriser.
Adam et Eve en mangeant du fruit défendu découvrent leur nudité. Avec elle la beauté des corps, voir le surgissement du désir.
Sans faire de la psychanalyse basique, Freud aurait peut-être dit qu’ils ont découvert le désir sexuel, moteur des pulsions fondamentales. Comme tout adolescent, la venue de sentiments très forts qui les submergent, leur fait sans doute très peur dans un premier temps d’où sentiment de panique !
C’est de cela dont ils ont honte et qu’ils n’assument pas en allant se cacher.
S’ils avaient assumé leur acte en se présentant devant Dieu, contents et heureux du plaisir éprouvé, alors ce dernier n’aurait pas pu les chasser tant cela est dans l’ordre naturel des choses !
Dans le monde dans lequel nous vivons, n’est-ce pas le puissant désir de « jouissance », l’irresponsabilité et la non-assumation par nos dirigeants de leurs prises de décision et de leurs actes, qui génèrent l’injustice, la souffrance, et dressent les peuples les uns contre les autres ?
Nous allons de plus en plus vite vers un monde nouveau, véritable saut dans l’inconnu, que la science et la technologie transforment chaque jour, mais sans avoir au préalable assuré les bases sociales et morales des conséquences.
Le progrès scientifique et technique s’accélère sans aucun lien avec le progrès social qui lui, stagne ou régresse.
Exploitation insensée tant des êtres que des ressources, épuisement des sols, et des réserves terrestres, voilà un avenir pour le moins sombre !
La fracture entre progrès scientifique et progrès social devient une faille qui s’agrandit toujours plus.
C’est là que résident à mon sens, les pieds d’argile d’une civilisation qui risque fort de s’effondrer tôt ou tard, tant elle n’est pas porteuse d’avenir.
C’est cette incapacité à résoudre nos contradictions dans un système fondé sur le profit et l’absence de valeur morale qui accroit les angoisses et les peurs.
Ce qui anime les dirigeants et les élites tant économiques, financières que politiques dans la plupart des pays, c’est la course au profit, à la puissance, à la jouissance totalement égoïste, à la cupidité aveugle et irresponsable.
Mais ce comportement prédateur et asocial se cache derrière des pseudos valeurs de « démocratie » dans les pays dits « développés » quand il n’apparait pas dans toute sa brutalité dans d’autres.
Alors face à ce gigantesque gâchis, les grandes peurs sont de retour.
Les terreurs primitives se réveillent devant une angoisse impossible à colmater.
La religion revient en force sous forme d’intégrisme et d’intolérance et l’humanité risque de connaitre une nouvelle phase de régression.
Le moyen orient, berceau pourtant des religions du Livre, est mis à feu et à sang depuis plusieurs années sans que les instances internationales puissent éteindre cet incendie qui croît en puissance chaque jour. Les attentats du 13 novembre à Paris comme ceux qui se produisent un peu partout dans le monde, sont les signes annonciateurs d’une catastrophe imminente.
Reste l’espérance, la bonne volonté et… la poésie :
Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle
Sur l'esprit gémissant en proie aux longs ennuis,
Et que de l'horizon embrassant tout le cercle
II nous verse un jour noir plus triste que les nuits;
Quand la terre est changée en un cachot humide,
Où l'Espérance, comme une chauve-souris,
S'en va battant les murs de son aile timide
Et se cognant la tête à des plafonds pourris;
Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux,
Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées
Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux,
Des cloches tout à coup sautent avec furie
Et lancent vers le ciel un affreux hurlement,
Ainsi que des esprits errants et sans patrie
Qui se mettent à geindre opiniâtrement.
- Et de longs corbillards, sans tambours ni musique,
Défilent lentement dans mon âme; l'Espoir,
Vaincu, pleure, et l'Angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
LXXVIII - Spleen
Les Fleurs du mal, Charles Baudelaire
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