JeanKoehler
Pour mieux se connaitre...
Phénomènes de société
Le drame affreux qui vient de secouer Paris évoque des souvenirs terribles.
Assassinats de sang-froid, méthodiques, sans états d’âme, planifiés à différents endroits.
Tuer puis se faire sauter au moyen de sa ceinture d’explosifs. La mort, le maximum de morts comme ultime but, tant pour les autres que pour soi-même.
La France est choquée, traumatisée face à cette barbarie.
Mais les responsables politiques, policiers, ne sont pas étonnés. Ils s’y attendaient, s’y préparaient, les redoutaient.
Ils déclarent, lucides, que ce n’est sans doute pas fini, que cela pourrait recommencer.
Ils savent de quoi ils parlent connaissant bien la mouvance islamiste, ayant des milliers de fiches, les fameuses fiches « S ». Pour les avoir souvent interrogés ils connaissent parfaitement ce qui chemine dans la tête des Djihadistes.
La France vient de vivre son 11 septembre 2001 et pourrait hélas réagir comme le firent à l’époque les américains, par une surenchère de bombardements en Syrie.
Les américains avec le « Patriot Act » sont intervenus massivement en Afghanistan et en Irak avec le succès que l’on sait. Abandon du droit et des règlements diplomatiques, certes plus difficiles à construire au profit de la force brutale des représailles. Internements arbitraires, allant même jusqu’à faire voter une loi légitimant la torture, effaçant d’un coup les efforts entrepris dans le respect de la personne et des droits de l’homme.
Les mêmes causes risquent de produire les mêmes effets et c’est sans doute ce que recherchent les commanditaires de ces crimes.
Cela fait maintenant 14 ans que l’on bombarde les pays musulmans qui ont abrité cette poignée de terroristes qui évoque les « nihilistes » d’autrefois. Cette minorité agissante, certes très nocive, ne représentait pas la majorité des populations musulmanes en grande majorité pacifique et tout autant choqué par des actes de terrorisme.
Ce que les parisiens ont vécu médusés vendredi 13 novembre dernier, les populations musulmanes des pays d’Orient le vive régulièrement depuis 14 ans sous les bombes des avions occidentaux !
Les Djihadistes ont compris une chose : ils veulent réveiller les masses musulmanes apathiques, leur donner une raison de se battre, et rien de tel pour cela que les faire frapper par l’ennemi, « le croisé ».
Ils ont retenu des guerres coloniales que chaque coup donné par les bombardements aveugles des avions occidentaux provoque des dégâts considérables, non seulement sur les biens mais aussi sur les consciences.
Rien de tel pour inculquer la haine dans les cerveaux des jeunes des banlieues qui sont déjà des révoltés ayant commencé par développer une économie mafieuse autour de la drogue.
Permettre à ces jeunes flirtant avec la délinquance, aguerris par de multiples séjours en prison, d’accéder à un idéal « religieux » au bout duquel ils peuvent se couvrir de gloire.
Sûr que l’on va parler d’eux et qu’ils deviendront des martyrs, sacrifices nécessaires pour construire le fameux Califat !
Abdelhamid Abaaoud et ses complices qui viennent d’être abattus à Saint Denis peuvent parfaitement devenir des héros, sortes de Che Guevara, pour ces jeunes en mal d’aventure.
Jusqu’à présent le calcul des extrémistes islamistes s’est avéré payant car depuis 2001 et les interventions aveugles de l’occident, par des bombardements massifs de ces régions, Daesch n’a fait que de se développer et de se renforcer au point d’avoir pu créer un véritable état islamiste entre la Syrie et l’Irak.
Alors, avec les attentats à Paris, en envoyant le porte-avion Charles De Gaulle nous allons renforcer notre force d’intervention, redoubler nos bombardements mais pour quel résultat ?
Pour l’instant, les frappes massives en Irak, Syrie et Lybie n’ont eu pour effet que de désespérer des populations prises entre une guerre intérieure Sunnites / Chiites où des groupes rivaux sont en concurrence, et l’intervention destructrice tant des occidentaux que du régime de Bachar El Assad.
Résultat une émigration massive vers les pays occidentaux qui traduit un profond échec des politiques suivis au Moyen Orient et le risque de déstabilisation des pays européens qui se débattent déjà, en France notamment dans le chômage des jeunes, la précarité et les difficultés économiques.
Tous les observateurs ayant étudié les banlieues des grandes agglomérations françaises savent que certaines d’entre elles ne survivent que grâce à une économie parallèle basée sur la drogue et des rapports mafieux. Alors un afflux de réfugiés ne fera qu’aggraver la situation au moins dans un premier temps.
L’attirance de jeunes français d’origine maghrébine pour le Califat, mot magique qui permet de faire revivre en mirage la grandeur et la splendeur d’une civilisation musulmane qui a régné pendant des années sur tout le bassin méditerranéen est bien réelle.
De tout temps la jeunesse a eu soif d’idéal et dans un contexte de difficulté économique, d’un manque d’éducation civique et sociale, d’une instruction défaillante, elle peut vite et facilement devenir pour certains d’entre eux, la proie de leaders religieux qui sauront orienter une révolte naturelle et un surcroit d’énergie vers une cause symbolique qui les dépasse et qui peut les enflammer sans aucune retenue et esprit critique.
D’autant que le contexte politique s’y prête assez facilement lorsque l’on voit des gouvernements occidentaux vendre sans état d’âme des avions de combats sophistiqués et de l’armement à des pays comme l’Arabie saoudite et le Qatar, pays sunnites, et monarchies pétrolières qui sont parties prenantes dans le conflit religieux qui les opposent à l’Iran, grand pays Chiite. Depuis longtemps, ces monarchies richissimes payent au travers de circuits financiers opaques des groupes de fanatiques pour se protéger mais ces derniers finissent en général au bout d’un moment à vouloir voler de leurs propres ailes, quitte à se retourner contre leurs bailleurs !
Après les attaques du 11 septembre 2001, l’Arabie Saoudite a eu beaucoup de mal pour tenter de se disculper des financements de Ben Laden et d’Alkaida !
La France qui se dit facilement pays des droits de l’homme, de la liberté, de l’égalité dans ses principes, fait partie des toutes premières puissances occidentales de ventes d’armes dans le monde qui n’ont comme vertu que celles d’enrichir les marchands de morts !
Difficile dans ces conditions de promouvoir une éthique et des valeurs morales lorsque le cynisme et la cupidité viennent des plus hautes sphères dirigeantes !
Même si le rôle d’un président est de rassurer la population et de montrer qu’il a les choses bien en main, il ne suffit pas de convoquer un congrès à Versailles de déclarer que l’on est en guerre, d’envoyer notre porte-avion devant les côtes de Syrie et d’affirmer qu’il va « détruire l’Etat Islamique de Daesch » pour faire croire qu’il va régler le problème.
La solution pour permettre de trouver un règlement durable au Moyen Orient pour mettre fin à l’ensemble des conflits qui s’imbriquent les uns dans les autres, passe par un règlement politique avant d’être militaire.
D’abord définir des objectifs clairs, les faire ratifier par les instances internationales, utiliser la voie diplomatique pour les faire appliquer et utiliser la force en dernier ressort vers ceux qui les refuseraient. C’est cela qui permet d’être fier d’une civilisation fondée sur des principes de valeur morale, démocratique, et de progrès.
On en est loin !
Analysons l’historique du conflit du Moyen Orient depuis la fin de la 2ème guerre mondiale avec la création de l’Etat d’Israël.
Depuis 67 ans le conflit Israélo-palestinien a révélé une haine profonde entre deux populations dans une région du monde que les dirigeants des instances internationales ont laissé se développer sans le stopper et qui a fini par métastaser dans toute la région.
Avec les années la haine et la guerre entre communautés juives et arabes, n’ont fait que s’envenimer et ont certainement contribué à déstabiliser une région sensible d’un point de vue énergétique pour l’ensemble du monde. Les grandes puissances, et les pays voisins ont instrumentalisé ce conflit en fonction de leurs intérêts particuliers.
Mais plus grave, ce conflit a permis l’irruption du religieux dans le social, c’est-à-dire le passage de la croyance qui doit se limiter au niveau de l’idéal, dans le réel.
Notre civilisation occidentale moderne s’est construite par l’acceptation de la séparation entre le temporel et le spirituel. Principe de sécularisation dans les pays démocratiques et appelé aussi « laïcité » en France.
Ce que l’on a appelé le « siècle des lumières » c’est l’acceptation de la raison comme principe de gouvernance à la place des monarchies de droit divin. D’où le retentissement dans le reste du monde, des principes de la révolution de 1789.
La France a conforté ces principes par la laïcité qui sépare la religion, sphère privée, de la vie commune, sphère publique, gouvernée par la raison, cela dans le respect de la liberté de conscience.
En créant l’Etat d’Israël, les dirigeants de ce pays se sont crus très malins d’invoquer la bible comme acte notarié pour justifier la prise des terres des palestiniens et de les avoir chassé dans les pays limitrophes où ils se sont trouvés entassés dans des camps de réfugiés.
C’est bien au nom de la religion, que le sionisme comme mode de fonctionnement a légitimé la création de ce pays et cela avec le soutien total des pays occidentaux en proie à la mauvaise conscience de la Shoah qui s’était produite en Europe pendant la deuxième guerre mondiale.
C’est le retour en force du religieux dans la vie publique qui va avoir des conséquences catastrophiques, puisque les pays arabes se sont sentis légitimés de faire pareil, et les guerres de religions se sont rallumés dans cette région du monde.
Les monarchies pétrolières ont renforcée leur pouvoir par l’application rigoriste d’un islam sunnite dans toutes les sphères de la société au point d’étouffer toute liberté individuelle dans la vie de tous les jours.
Les Iraniens ne sont pas restés sans réagir avec la création de l’Etat islamiste chiite d’Iran par l'ayatollah Khomeiny et c’est ainsi que le Moyen Orient est devenu une terre irrespirable, la dignité et le respect de la personne humaine passant bien après tous les excès d’intolérance, de fanatisme et d’obscurantisme.
Dans un monde gouverné par l’argent, la cupidité, l’envie, l’introduction du religieux dans la vie civile provoque un drôle de mélange particulièrement détonnant qui a de quoi déboussoler une jeunesse mal dans sa peau !
François Hollande est décidé de s’en prendre vigoureusement à Daesch. Il s’est rapproché des Russes et des Américains pour tenter une action commune, car la France n’a plus les moyens de vouloir jouer les gendarmes dans cette région !
C’est compréhensible mais avec un risque énorme, celui d’apparaitre aux yeux des populations musulmanes comme une nouvelle croisade des occidentaux que les responsables de Daesch vont vouloir exploiter au maximum.
Les musulmans qui sont plus d’un milliard dans le monde sont des gens dans leur écrasante majorité pacifiques mais très religieux.
La bascule d’une fraction de leur jeunesse vers l’islamisme rigoriste puis le djihadisme se fait avec une certaine facilité. Si ces derniers arrivent à mobiliser les masses musulmanes dans une guerre de religion contre l’occident alors ce sera épouvantable.
Le paradoxe est que la religion chrétienne qui a parfaitement intériorisé la séparation du temporel et du spirituel comme étant un progrès refuse à juste titre d’être entrainée sur cette voie. Ce n’est hélas pas le cas de la religion musulmane qui n’arrive pas à opérer cette séparation.
Et du coup ce sont les instances chrétiennes qui apparaissent comme faibles et impuissantes à empêcher la persécution de leurs membres qui se voient chassés de tout le Moyen Orient, berceau pourtant de cette religion !
Toutes les civilisations ont eu des cycles de vie, période de croissance puis de déclin.
Nous sentons tous que la civilisation occidentale est à un tournant de son histoire. Elle est en train de se fragiliser à vue d’œil car elle ne sait plus associer progrès technique et scientifique avec progrès social d’une part, et valeurs morales et spirituelles d’autre part.
La fracture est patente et ne cesse de s’agrandir au grand désarroi des peuples qui la composent.
Sur le chemin de l’évolution, notre compréhension du monde nous a conduit à penser que le progrès consiste en plus de justice sociale, une meilleure répartition des richesses et une spiritualité accrue particulièrement dans la reconnaissance du caractère « sacré » de la personne humaine ainsi que l’acquisition par le plus grand nombre des « hautes valeurs morales » auxquelles nous aspirons !
Aujourd’hui, le capitalisme matérialiste impulsé par le monde occidental est triomphant, le règne et le pouvoir de l’argent n’ont jamais été aussi forts, le cynisme et les inégalités s’affichent partout sans scrupules !
Notre seule ambition semble être un consumérisme effréné qui finit même par détruire la planète dans l’épuisement de ses ressources et la modification du climat !
Les dirigeants et les élites occidentales, enfermés dans une bulle de suffisance et de force militaire, ne se rendent absolument pas compte de l’image désastreuse qu’ils donnent au reste du monde.
La civilisation musulmane fondée sur le Califat et l’emprise religieuse sur la vie civile appartiennent au passé car elles ne proposent que de retourner brutalement vers un obscurantisme moyenâgeux.
D’où le désespoir de ses combattants qui en arrivent à se faire sauter faute de perspectives réelles.
Un monde nouveau reste à construire qui sera capable d’intégrer une espérance dans une combinaison harmonieuse entre satisfaction matérielle et valeurs spirituelles.
Association I Mentions & Crédits I Newsletter I Evénement
La Ronde Poétique - 14 rue de Verdun - F-92500 Rueil-Malmaison