Jean Koehler
Pour mieux se connaitre...
Poésie, Science et Psychanalyse
Mon propos est d’interroger un des aspects de la signification du langage, vaste sujet jamais épuisé, qui fait de l’humain le meilleur mais parfois aussi le pire de ce que la nature a su créer et dont le mystère encore entier, est loin d’avoir livré tous ses secrets.
Au commencement était le verbe dit la genèse. La bible sous-tend qu’il y avait un avant et un après. Effectivement l’homme a pu prendre son essor et s’arracher en partie à son animalité grâce au langage disent les paléoanthropologues.
La cohabitation entre les hominidés et les grands singes a duré pendant des millions d’années dans une certaine stabilité. L’apparition du langage ouvrant la voie à la conceptualisation qui est le propre de l’homme, va bouleverser et rompre ce fragile équilibre il y a environ 100 000 ans et la lignée humaine va connaitre un développement foudroyant.
Le cerveau fabrique des images, des pensées, et dans les rêves permet de franchir allègrement ce qui sépare le réel du symbolique et de l’imaginaire.
On sait aujourd’hui que le cerveau du bébé humain est préformaté pour apprendre à parler. C’est cette aptitude qui va permettre à l’homme de se projeter dans l’avenir tout en cherchant à comprendre son passé. C’est en nommant les choses et les pensées que l’individu peut les faire exister et leur donner du sens, et de ce fait, il devient créateur.
Et tout naturellement il va être attiré par la beauté de ce qui l’entoure et va chercher à exprimer ce qu’il ressent avec des mots. La poésie est un art parmi les Arts qui au moyen de la versification veut mettre en valeur le rythme, l'harmonie et les images de ce qui nous touche mais aussi nous dépasse.
La poésie plonge dans l’âme humaine et tente d’exprimer le mystère de la vie a dit Baudelaire.
La poésie entre aussi dans l’histoire des hommes car elle va être la forme d’expression dans l’épopée lyrique orale, bien avant l’usage de l’écriture. L’épopée de Gilgamesh, récit légendaire de Mésopotamie est l’un des plus anciens textes de l’humanité rédigé sous une forme poétique avant d’être transcrit en tablettes.
Puis c’est vers 880 que l’une des toutes premières œuvres littéraire écrite en français est un poème de 29 vers intitulé « Sainte Eulalie » raconte le martyre d’une jeune chrétienne.
C’est en versifiant pour mieux pouvoir garder en mémoire que les hommes racontent dans les chansons de gestes les péripéties de leurs héros, ainsi la chanson de Roland.
La psychanalyse part d’une démarche similaire pour rechercher une explication des méandres de la psyché par une méthode d’investigation particulière fondée par Freud et approfondie par ses disciples.
La technique psychanalytique est fondée sur l’écoute de la parole et les associations. D’une certaine façon, le patient se transforme en enquêteur, voir en archéologue pour reconstituer son histoire, y compris celle à laquelle il n’a pas accès car antérieure à sa naissance et dans les premiers mois qui suivent celle-ci au moment où le cerveau se construit, où les synapses, connexions entre les neurones s’élaborent. Mais voilà, l’homme n’en a aucun souvenir direct. Le paradoxe étant que ces premières années vont conditionner pour une grande part toute son existence !
Comme point de départ aujourd’hui prenons la fameuse déclaration toujours énigmatique de feu Lacan, théoricien d’une des grandes écoles de psychanalyse : « l’inconscient est structuré comme un langage ».
Inconscient, structure, langage, voilà des termes familiers à tout poète qui tente d’exprimer ce qu’il ressent au-delà des simples apparences.
S’il est difficile de définir l’inconscient il est tout aussi malaisé de définir la poésie, cet art du langage exprimant aussi bien des images, de la couleur, des sons rythmés, des rêves et des émotions diverses, bonnes ou mauvaises, qui nous renvoient à une dimension supérieure que nous percevons intuitivement lorsque nous sommes touchés par l’inspiration que nous délivre les muses.
La poésie a longtemps été un genre majeur dans nos pays mais qui s’est affaiblie dans un système de consumérisme implacable ne laissant que peu de place à la rêverie et à l’écoute de l’imaginaire.
Peut-être que le fait de ne plus apprendre par cœur des poèmes qu’il fallait réciter devant la classe nous a fait perdre progressivement le sens du rythme et de la musicalité des mots rassemblés dans un ordre particulier.
Disons que la chanson moderne, que radio et télévision vont populariser lorsqu’il s’agit d’un « tube » en est un substitut. Brassens, Brel, Ferré ont chanté de magnifiques poèmes pour ne citer qu’eux.
La poésie a permis pendant longtemps de mémoriser des textes entiers qui renvoyaient à l’histoire mais aussi au sacré, contribuant à la fondation de civilisations.
Dans des temps anciens, l’Iliade et l’Odyssée d’abord poèmes rythmés au souffle puissant, étaient appris par cœur par des élèves voulant accéder aux « humanités ».
Mais aujourd’hui à quoi bon faire l’effort de mémoire puisque celle-ci a été transféré dans nos ordinateurs, redoutables machines dont nous sommes déjà devenus esclaves, puisque nous ne pouvons plus fonctionner sans elles !
Les progrès scientifiques et techniques fulgurants de notre époque qui tendent à la grande convergence des NBIC (Nanotechnologies, Biologie, Informatique et sciences Cognitives) vont projeter l’humanité dans un formidable bond en avant dont nous avons encore bien du mal à en appréhender les effets.
Big data et Algorithmes deviennent des outils formidables dans la connaissance de nos goûts et désirs aux mains des GAFA (Google, Apple, Face-book, Amazone) pour nous conditionner à leur guise si nous n’y prenons pas garde.
Si le cerveau humain a ses limites, l’intelligence artificielle, « neurones en silicone » n’en a pas et va très vite nous dépasser.
Nul ne doute que les bouleversements qui arrivent vont nous secouer une fois de plus avec tout ce que cela implique d’angoisse et de peur qui se traduit un peu partout par une montée des agressivités de plus en plus palpables.
Alors les poètes doivent tenir bon et rappeler cette maxime de Rabelais : « science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».
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